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Taïwan

Chronique de voyage

1. Le « Mass Rapid Transit »

On se rend aux sources de Beitou en métro depuis Taipei. Pas un métro parisien, non. Ici, on est bien dans une capitale asiatique : imaginez donc un engin deux fois plus long et une fois et demi plus large, des quais et des halls grands comme des cathédrales, des waiting-lines entrantes tracées au sol, des flèches pour descendre, pas de détritus au sol, pas de graffitis, les équipements brillent comme neuf. Pour la parisienne que je suis, c’est toujours déroutant de voir un monde sans crasse ni crise galopante. Ici, le stress retombe à zéro et ça se voit sur la plupart des visages.

Bref, à Taipei le métro s’appelle le MRT (pour Mass Rapid Transit) — à Hong Kong c’est le MTR, pourquoi faire simple ?! – et c’est les trois seules lettres que n’importe quel autochtone comprendra en anglais en vous faisant de grands gestes pour vous montrer où se trouve la station la plus proche. Il y a un point que j’aimerais éclaircir tout de suite ! Non, les Taïwanais, et même les jeunes, ne parlent pas anglais. Même s’ils mettent toute leur bonne volonté pour vous aider, ils vous enverront souvent à l’opposé de votre destination. Jamais je ne me suis autant perdue. Les noms chinois s’écrivent très approximativement en lettre latine. Comprenez que le lieu Tamsui, Danshui ou Danshuei sont la même chose, Juifen et Juifang aussi mais pas Ruifang qui est la ville suivante !

J’ai aussi mis 2 jours à comprendre que leurs plans ne sont pas du tout orientés au Nord, il faut donc prendre les quelques monuments comme repères… Respirer, garder son calme et penser un jour à apprendre à reconnaître les foutus signes en chinois pour éviter ces grands moments de solitude. Le commentaire que j’ai entendu le plus ici après « Are you travelling alone?.. Yes ! » est « Oh ! You are brave ». Ils exagèrent, ce n’est pas une question de courage. Je ne sais pas comment expliquer aux Taïwanais qu’avec eux, on se sent parfaitement bien. Donc non, ce n’est pas du courage qu’il faut mais de la patience avec leur foutue langue…

Le MRT vous emmène très vite hors de la capitale, il va même jusqu’à la mer maintenant. Et quand le MRT ne peut vous emmener quelque part, hé bien il y a la « main train station » qui vous emmènera encore plus loin avec des fréquences de trains de banlieue pour quasi toute l’île et en TGV aussi. Mais une fois à bord de certains trains locaux et bus, il n’y a plus rien d’indiquer en anglais. Il faut donc tenter de compter les stations ou essayer de trouver un usager qui baragouine l’anglais.

2. Le souffre

J’ai trouvé ma route pour les sources chaudes de Beitou soufrées. Elles viennent d’un volcan et font 90 degrés celsius. Les aborigènes avaient coutume de venir y cuire leurs œufs et toutes sortes d’autres choses, une interdiction a par la suite été prononcée car, évidemment, la source fut contaminée de nombreuses fois.

Des petites marchandes continuent de vendre des œufs durs aux abords de la source en souvenir de cette époque. Les Japonais, qui avaient colonisé l’île, se sont de suite empressés à y installer leur art des bains. En canalisant l’eau un peu partout dans le village et en construisant de jolies maisons abritant les si bienfaisants bassins carrés aux mosaïques sobres. Très peu d’authentiques bains restent je crois (peut-être dans les maisons particulières).

Aujourd’hui de grands hôtels qui proposent également tous les soins de Spa ont poussé un peu partout. Le paysage des collines est un peu saccagé par ces grands établissements qui semblent prospères vu le nombre de chantiers en cours le long de la rivière. La ville de Beitou a partout cette odeur si particulière de soufre, ça pue un peu, disons le, mais il est bien agréable de se réchauffer dans les vapeurs en janvier car oui, il fait bien froid ici aussi…

Post-scriptum : je n’ai pas eu le goût d’écrire ma chronique sur le temple rose et vert de Preah Khan comme promis dans mon premier mail, j’étais Charlie et le suis encore… Même à l’autre bout du monde, on est plus que bouleversé, la distance n’apaise rien ; c’est peut être même pire de voir de si loin ce qui se passe à une poignée de mètres de chez soi.

Let’s be brave

Chronique de voyage

1. Magie !

Prendre la Alishan Forest Railway à la gare de Chiayi, c’est un peu se retrouver dans le monde de Harry Potter. Déjà, l’employée de la ligne Alishan a un comptoir spécifique et vous écrit le ticket tout à la main, puis, elle vous indique avec un geste intriguant qu’il faut attendre le train tout au bout du quai 1, là où il n’y a plus de trains normalement. Mais un peu de magie à Taïwan c’est normal, car ici on continue d’évoluer dans un univers de bonhommes de neige, de traîneaux et où on met du miel sur ses œufs au plat.

Oui, ici, c’est encore (et toujours ?) Noël !

Les Taïwanais, surtout les jeunes étudiants, adorent porter de gros bonnets de laine pointus et des pulls de classes de neige. Dans les ascenseurs et pas mal de couloirs d’hôtels et restaurants, la musique est toujours bloquée sur les airs de Noël et aux accueils des établissements, personne n’a apparemment envie de ranger les sapins lourdement décorés. Même les camions poubelles ont de la magie : jaunes bouton d’or, ils arpentent les villes, à toute heure, accompagnés d’une petite musique entêtante, entre l’orgue de barbarie et le Bontempi. Impossible de les rater, ils chantent dans tout le pays comme s’ils allaient vous vendre des glaces !

2. Le train pour la forêt d’Alishan

Mais revenons au petit train de la forêt d’Alishan. Me voilà donc devant le quai 1 3/4… non, je plaisante. En fait, au bout du quai 1, il y a une autre petite ligne sur la droite, je dis bien petite car l’écartement des rails n’est pas standard. Les Japonais ont construit ce rail hallucinant à partir de 1904, durant leur occupation coloniale pour ramener le bois des montagnes. Des ingénieurs fous ont conçu la ligne en zigzags et les mécaniciens font des manœuvres invraisemblables. Ils avancent tout le train au bout d’un tronçon, changent l’aiguillage et montent ainsi en angle en reculant ou en avançant sur des pentes à 6%. La norme d’une pente ferroviaire est de 2%. Le chemin de fer servait à ramener les troncs de cyprès jaunes. Hélas découverts par les Japonais tout là haut, souvent millénaires et très courus au Japon, ils ont tous été décimés, un vrai carnage ! Seuls les cyprès rouges s’en sont bien sortis car leur bois fend et avait donc mauvaise réputation. On peut aujourd’hui observer à Alishan des spécimens allant de mille à deux mille ans.

Pour vous finir la petite histoire du train, les Japonais ont été mis dehors en 1945, l’exploitation du cyprès jaune arrêtée faute de bois et les locomotives à vapeur ont été remplacées en 1962 par des diesels plus pratiques avec le développement touristique de la ligne. Aujourd’hui les drapeaux de Taïwan et du Japon côte à côte dans les wagons montrent la fraternité retrouvée entre les 2 pays.

Hélas un typhon a endommagé la ligne et on ne peut pratiquer que sa première moitié jusqu’à Fenqihu. Il faut ensuite faire, par la route, en bus local, la partie la plus intéressante où se trouvaient les fameux zigzags. Elle est en réparation, voilà de quoi donner une bonne raison de revenir un jour…

3. Le voyage – partie 1 : l’appel de la forêt

En montant dans le wagon, il n’y a que trois sièges sur une rangée, deux d’un côté et un de l’autre côté du minuscule couloir. Je suis accueillie encore par une musique enchantée, un chant qui ressemble à s’y méprendre à celui des 7 nains quand ils reviennent du boulot…

La petite locomotive rouge va cahin caha à travers la plaine d’une petite gare traditionnelle à une autre. Elles ressemblent à des maisons de poupées en bois. Mais voilà qui annonce déjà l’esprit montagnard du périple. J’ai été prévenue, il fait 7 degrés là-haut et je suis obligée d’y passer la nuit si je veux faire quelques chemins de randonnée.

À peine sorti de la ville, on entre dans des forêts de bananiers et de bambous, de quoi vous rappeler, malgré le brouillard et la fraîcheur, que vous êtes bien en Asie et non dans les Alpes ! J’ai lu quelque part qu’on chassait le léopard dans ces montagnes… Avant, bien avant… Enfin, j’espère que c’était bien avant !

4. Le voyage – partie 2 : toujours plus haut

Tout le monde dans le wagon a en tête de se lever à 5h le lendemain pour aller voir le soleil se lever au-dessus de la mer de nuage et des cimes des montagnes. Encore un spectacle magique, mais je crains que nous n’ayons pas assez de poudre de perlimpinpin dans nos sacs à dos, pour faire lever demain matin, le brouillard persistant.

Nous montons de plus en plus dur au milieu de la jungle et au son d’un klaxon corne de brume… Un vrai train fantôme… La locomotive est à l’arrière du train et nous pousse sans nous envoyer ainsi ses effluves de gaz d’échappements. Nous distinguons quelques lignes de crête au milieu de la grisaille et des épais nuages. Nous franchissons plein de tunnels, le train attaque une montagne comme un tourbillon. On tourne plusieurs fois autour d’elle. Cette partie s’appelle le tire-bouchon. Nous sommes enfin passés au dessus d’une mer de nuages, même si, au dessus de nous, le ciel est toujours blanc. Nous atteignons 1 000 mètres d’altitude.

Territoires aborigènes. Fougères géantes, certaines feuilles doivent atteindre les 2 mètres.  Petits bosquets ronds et bien taillés des plantations de thé sur quelques versants qui contrastent avec la nature luxuriante. Ponts en lattes de bois, suspendus au-dessus de précipices et chemins s’élançant vers les sommets et probables villages. Nous grimpons encore et encore et les vitres de la cabine s’embuent au contact du froid extérieur.

5. Je m’embrume

Arrivée à Fenqihu sans incident. Deux vieilles locomotives à vapeur peuvent être admirées dans un vieil entrepôt ainsi qu’une collection de photos de rails de montagne. Les touristes, tous asiatiques dans mon train, peuvent ainsi découvrir toutes les lignes de trains Suisses ainsi que celles du Mont Blanc et de Chamonix ! Mais oui, Taïwan me montre une fois de plus quelque chose de magique ! Ce bonheur intérieur que j’ai ressenti en montant dans le petit train et que je ne m’expliquais pas très bien, Taïwan me le met en photos sous le nez !

Chamonix, mon enfance des années soixante-dix, mes parents férus de tourisme alpin. Un temps où les appareils photos étaient protégés dans de gros étuis en cuir marron, où on tournait la molette jusqu’à que ça fasse un clic pour prendre un nouveau cliché, le selfie n’était pas envisageable à cette époque… Ma mère devant la Mer de Glace portant un foulard sur ses cheveux comme Grace Kelly, moi à son bras qui commençais à être affublée de ces horribles sous pulls jaune. Vieille photo jaunie et gravée dans ma mémoire, mais pardon, je m’égare…

La route en bus est belle mais il manque ce je ne sais quoi de la cadence du train….

Arrivée à 2 200 mètres, crachin, grisaille et 8 degrés au thermomètre. Ce n’est pas demain que je verrai le soleil se lever sur une mer de nuages ! Et à l’heure où je vous écris, en effet, tout le monde ce matin à fait la queue et pris l’unique petit train de 6h pour monter à Zhushan Station en trente minutes. L’ultime gare… Pour photographier du brouillard et quelques traînées de lumières avec un tout petit miracle de quelques secondes où on a deviné les cîmes ! Encore une bonne raison de revenir un jour.

Sur le chemin du retour, que j’ai fait à pied, j’ai trouvé un doudou perdu, un que j’aurais pu avoir sur la photo au bras de mes parents. Leurs âmes ont rejoint les cyprès depuis si longtemps…

Tapei