Aller au contenu

Canada

Chronique de voyage

1. Un road-trip de 7 500 km

Après trois fuseaux horaires et 3 000 km de plaines monotones qui traversent successivement les provinces canadiennes aux noms exotiques d’Alberta, Saskatchewan et Manitoba, l’arrivée en Ontario éveille à nouveaux tous les sens.
La route redevient sinueuse, épouse les courbes des collines couvertes de sapins et de rochers granitiques et gris. Dans chaque creux, un étang et un panneau avertissant sur la possible présence d’orignaux (les marécages de l’Ontario sont leur élément préféré). Ces élans hauts sur pattes, ce qui rend leur démarche dégingandée, sont un véritable danger sur la route. La nuit, ils restent hypnotisés par les phares en plein milieu de la chaussée. Heureusement ou non, je n’en verrai aucun en vrai durant ce road-trip. Je me contenterai de leurs nombreuses statues dans les villes…

En descendant vers le sud de la province et la région des grands lacs, on rencontre enfin un peu de densité de population. Les villes commencent à avoir des tailles conséquentes avec leurs centres historiques en briques rouges. Elles restent toutefois paisibles, sans trafic compliqué, tant elles sont étendues. Chaque maison, en bois, est pourvue d’une coquette terrasse protégée, où rocking-chairs et balançoires invitent au farniente. J’ai en tête l’image de ses vieux bluesmen se lamentant sur leur guitare pour oublier leur condition. Même si on est ici bien loin de l’Amérique sudiste, ma passion pour Crumb m’emporte dans l’imagerie de ses dessins. Au Canada, ces patios, décorés avec des pots de fleurs suspendus, montrent plutôt les bonnes conditions de vie du pays.

L’Ontario à la manie d’emprunter tous les noms de villes d’Europe : Lisbonne ou Genève, Syracuse, même Paris, j’irai dormir à London – Ontario ! Je suis accueillie par deux femmes du pays, Cathy et Linda, qui s’emploieront à me laisser un souvenir heureux de l’Ontario. Premièrement en cuisine, où je goûte des têtes de fougère ! Oui, il s’agit bien du bout de la plante encore recroquevillée en forme d’escargot. Le goût est entre l’haricot vert et l’épinard, c’est délicieux.

2. Le jardin du skonk

Le lendemain, nous allons au lac Érié, qui, avec sa plage de sable blond et ses vagues, ressemble à s’y méprendre à la mer. La météo est estivale. Le long des plages, terrasses et parasols invitent à goûter la fameuse « trout », de la truite du lac à chair blanche. En cherchant un peu, on peut la trouver juste grillée avec des légumes, histoire d’échapper au classique fish’n’chips.

Le dîner du soir, dans le jardin de Linda, à l’arrière de la maison, sera également un souvenir de paradis orchestré par les oiseaux, parfumé à la chlorophylle, avec en ténor, le coucher de soleil sur les jolies cabanes de jardins environnants. Je serai étonnée d’apprendre que, sur toutes ses belles pelouses bien coupées, pas mal d’indésirables s’invitent tels les skonks (putois) et les chiens des prairies, qui font des tulipes et autres fleurs, leur déjeuner, ou plutôt leur fast food, car en cinq minutes tous les massifs sont mangés.

Les Canadiens doivent donc constamment user de ruses pour ne pas avoir trop de visites du monde sauvage qui les entoure. Je verrai d’ailleurs un renard gambader gentiment aux abords d’un motel et nullement impressionné par les voitures. J’apprendrai aussi à reconnaître sur la route, l’odeur de la mouflette, le skonk, un putois quoi !

L’Ontario est bouclé au sud-est par les chutes du Niagara. Le bruit, la couleur, la hauteur et la puissance de l’eau émerveillent les touristes, peu nombreux à cette période de l’année. Je suis juste désappointée de constater qu’il n’y a pas vraiment eu de contrôle de l’urbanisme tout autour du joyau naturel. Côté américain, deux vilains buildings et un gros hangar cassent la ligne d’horizon et côté canadien, en prenant de la hauteur, on ne peut qu’avoir en avant-plan, un imposant centre commercial de souvenirs pour touristes.

3. Le français québécois

Après une très courte traversée de l’État de New York-USA, je pousse la porte du Québec. J’y entends une langue qui va du français à quelque chose de quasi incompréhensible avec des fois des mots qui ne sont sûrement pas dans le dictionnaire de la langue française mais dont on comprend le sens. Je lis le mot « asteure » dans un musée acadien, comprendre « à cette heure »… Et puis sur les panneaux Stop, on écrit de préférence « Arrêt », il faut vraiment tout traduire en français par ici ! Il ne faut pas non plus s’offusquer par le tutoiement, ils ne connaissent pas le « vous ». Tout est à la bonne franquette avec l’impression que la serveuse va vous mettre, en plus, une bonne tape amicale dans le dos.

On mange des plats généreux et peu onéreux comme “la poutine” : frites engluées dans une sauce brune avec du fromage fondu, accompagnées d’une bonne bière locale blanche ou rousse. À partir d’ici jusqu’à l’Atlantique, on aime le goût sucré. Les salades sont assaisonnées avec une sorte de ketchup doux, et au Nouveau Brunswick, on vous apporte du beurre sucré à la cannelle avec le pain chaud. Il me semble qu’on mange mieux à l’est qu’à l’ouest du Canada, il n’y a pas que des frites comme accompagnement, ils reconnaissent ici l’utilité des légumes, alléluia ! Certainement l’influence française…

Québec est une très jolie ville fortifiée avec goût mais la densité de touristes asiatiques nous fait fuir rapidement. Les japonais se sont entichés d’un personnage de fiction de la région : « Anne of green gables« , une jolie fermière à couettes rousses. Ils vont sur sa trace très facile à trouver sur les paquets de chocolats, le jus de framboise et les pots de confiture.

4. Enfin, le Nouveau Brunswick

Direction l’Atlantique et ses provinces maritimes. Ce qu’il y a d’épuisant en roulant vers l’est, c’est les changements de fuseaux horaires. On perd à chaque fois une heure. Nouveau Brunswick : c’est le quatrième fuseau horaire traversé ! J’ai perdu 4 heures depuis Vancouver, c’est un peu déboussolant dans ce sens car il est toujours un peu trop tard quand on arrive.

Arrivée sur la terre rouge où l’herbe est plus verte. L’oxyde de fer remonte partout dans ses anciennes terres volcaniques. La rivière qui traverse Moncton charrie une eau chocolat, on pourrait penser qu’il y a une pollution grave. En arrivant à la mer, certaines plages ont la même couleur et l’océan va du rosé au bleu. Je me dis qu’il y a tellement de homards dans l’eau qu’ils dégorgent leur couleur rosé. Le vent peut être parfois violent. On suit les indications PEI-IPE, l’île-du-Prince-Édouard, passage du pont de la Confédération.

13 kilomètres enjambant la mer du Pourmalin pour arriver sur la terre rouge magique. Plus on s’enfonce dans les terres maritimes, plus le printemps régresse.

Les lilas sont de nouveau verts. La couleur la plus remarquable à cette époque est le jaune des pissenlits qui font parfois comme des rivières de soleil au milieu des prairies ultra vertes sur fond de mer bleue et rouge. Les maisons sont souvent d’un joli gris ou blanches avec un toit rouge pétant, tout comme les nombreux petits phares en bois. À certains endroits, en regardant les baies chocolat au lait, on pense avoir atterri ailleurs que sur la Terre.

Ce sera trois jours de festival dans l’assiette ! Du homard, encore du homard, toujours du homard. En sandwich, dans les pâtes, en sauce, à la vapeur… Pour un prix modeste.

7 500 kilomètres parcourus depuis Vancouver en trois semaines… Le temps tourne pour la première fois à la pluie. La corne de brume me fait sentir qu’il faut repartir vers l’ouest jusqu’à Montréal et se réaccoutumer aux grandes villes. Passage obligé par le paysage extra-terrestre de Hopewell Rocks au Nouveau Brunswick.

Un joli flash dans la voiture à la frontière américaine. Le douanier noir-américain à lunettes de soleil semble tout droit sorti d’une série d’Hollywood. Il devrait essayer de devenir comédien mais je n’ose pas lui dire.

On file à travers le Maine champêtre pour rejoindre Montréal. La nature une dernière fois… Mais ne nous laissons pas tromper par ce paysage enchanté. Tout le long de la route, drapeaux patriotes et cocardes, églises baptistes et centres de rédemption me montrent les portes de l’enfer américain…